Académie des Sciences, Agriculture,

Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence

Accueil

Résumés des Communications

de l'année 2020 / 2021

 Le mardi 11 mai 2021,

l’Académie a entendu Madame Annick Duperray

donner en visioconférence sa communication

Le sud des Etats-Unis et sa littérature (1920-1990).

Du particularisme au mythe.

 

 Il est coutume d’opposer la tradition littéraire du Sud, lyrique et passéiste, à celle du Nord, réaliste et naturaliste. La Guerre de Sécession n’effaça jamais complètement cet antagonisme, et le Sud resta toujours un fervent défenseur de la terre natale, réticent à l’industrialisation, et à l’émancipation des anciens esclaves. Cet état d’esprit fut partagé par des intellectuels et écrivains, les « Agrariens du Sud », pour qui les valeurs ancestrales - religion, famille, lien avec la terre - sont les seuls remparts contre l’industrialisation, le libéralisme, l’immigration, et le bolchévisme.

 

 Un de leur maître à penser, T.S. Eliot publie en 1922, The Waste Land, œuvre phare de la poésie du XXème siècle, marquée par un mélange particulier d’avant-gardisme esthétique et de conservatisme idéologique. Suivent les écrivains dits « Fugitifs », puis la « Southern Renaissance», illustrée par le célèbre roman Autant en emporte le vent, ou Les Pères d’Allen Tate. Pour cet auteur, la tragique décadence du Sud serait l’aboutissement d’un processus d’autodestruction, imputable aux faiblesses et à la vulnérabilité de ses habitants, tout autant qu’aux machinations de l’envahisseur nordique. Pour Robert Pen Warren écrivant Les fous du roi, c’est la société moderne « qui a fait de l’homme un être déraciné ». En réalité, l’inquiétude métaphysique confère à la création littéraire du Sud sa spécificité, et elle habite l’œuvre de William Faulkner.

 

 Le roman le plus célèbre de cet auteur, Le bruit et la fureur, est marqué par les techniques du monologue intérieur et du courant de conscience : un « idiot » y raconte la décadence de la famille

 Compson.

 

Dans ses romans Sartoris, et Absalon! Absalon, l’écrivain crée un comté fictif de Yoknapatawpha, sis dans le Delta mythique du Mississipi, symbole de la nature libre et indomptable. Le problème noir n’y est pas traité comme une question politique ou sociale, car pour Faulkner « le noir n’est pas bon ni le blanc mauvais ou réciproquement. Ils sont maudits ensemble, enchaînés l’un à l’autre par une malédiction commune ». Néanmoins, dans les débats sur les problèmes interraciaux, l’écrivain s’engagea activement, et se montra modéré, voire libéral. La popularité de Faulkner en France se manifesta, en particulier, chez Albert Camus, qui adapta au théâtre le roman dialogué Requiem pour une nonne.

 

 La relève de Faulkner fut assurée par le mouvement « The Southern Gothic », auquel se rattachent une soixantaine d’écrivains, parmi lesquels on compte Truman Capote, William Styron, Tennessee Williams…et les afro-américains Richard Wright, Ralph Waldo Ellison.

 

 Curieusement, il existe de nombreuses affinités entre la littérature du Sud des Etats-Unis et celle de notre Sud provençal, où se mêlent étrangeté et rusticité. Vous le constaterez en relisant Pagnol, Giono, ou Bosco.

 

                                                                   M-C.E

 

 

 

Le mardi 25 mai 2021,

 

l’Académie a entendu Monsieur Bernard-Vincent Mathieu

donner, en visioconférence, sa communication

La métamorphose des dieux antiques dans le monde devenu chrétien.

 

 En 380, l’empereur Théodose 1er « le Grand », par son édit de Thessalonique, établit le christianisme comme religion officielle de l’Empire Romain. Cependant, les adeptes de la religion traditionnelle antique demeurent nombreux, et les dieux déchus survivent de manière symbolique ou allégorique, dans les « topoï » de l’imaginaire et des arts plastiques.

 

  Ainsi, Zeus / Jupiter, dieu principal régnant sur le ciel et la terre, représenté par Phidias avec le sceptre et le globe nicéphore, ressemble au Christ « pantocrator », tantôt assis sur la sphère de l’univers, tantôt la tenant dans sa main. Orphée, qui charme les animaux par son chant et sa lyre, est vu comme un symbole du Christ conduisant les hommes à la vérité par la séduction de la parole divine, et sa descente dans l’Hadès en quête d’Eurydice, évoque la descente du Christ aux Enfers pour en délivrer Adam et tous les Justes d’avant l’Incarnation. Apollon / Hélios est à l’image du Christ « lumière du monde ». Le culte de Dionysos / Bacchus trouve un écho dans le Mystère de l’Eucharistie et la communion sous l’espèce du vin consacré. Bellérophon, dompteur du cheval ailé Pégase et tueur de monstre, fait penser à Saint Michel terrassant le dragon et au chevalier Saint Georges. Hercule inspire Michel-Ange dans sa représentation du Christ à la chapelle Sixtine.

 

 Nous retrouvons les mêmes correspondances à propos de la « théologie de la victoire », païenne puis chrétienne. A Rome, la croyance voulait que la victoire militaire soit donnée aux « imperatores » par le secours divin. Pompée avait le soutien de Vénus « Victrix », tandis que César, celui de Vénus « Aeneadum Genitrix », mère de toute la race romaine et de celle des Julii. César, mieux protégé, l’emporta sur Pompée ! Pour les chrétiens, la Vierge assure ce patronage. Les Teutoniques se disaient « chevaliers de la Vierge ». En France, les nombreuses églises placées sous l’invocation de Notre-Dame-des-Victoires témoignent de ce culte marial associé à la ferveur militaire.

 

 Enfin, deux divinités orientales illustrent ces métamorphoses : Isis et Mithra.

 Isis, l’Egyptienne, est vénérée à Rome comme la « Mère » universelle, consolatrice et nourricière. Elle est représentée mettant au sein son bébé Horus. Cette image devient celle de la Vierge Marie allaitant l’Enfant Jésus.

 Mithra, ancien dieu de la lumière chez les Indo-Iraniens, est honoré par le sacrifice du taureau, et par des cérémonies initiatiques, dont certains aspects rappellent le baptême chrétien. Au Kremlin, une icône représente l’hospitalité d’Abraham et le repas qu’il offre aux trois anges rencontrés au chêne de Mambré. On y voit le sacrifice d’un taurillon, exécuté de manière troublante à la façon de la tauroctonie mithriaque. En Occident, le 25 décembre, au solstice d’hiver, les adeptes de Mithra célébraient le « Soleil Invaincu ». Cela deviendra Noël, fête de la naissance de Jésus-Christ. Grégoire le Grand, pape de 590 à 604, prit le parti de christianiser les coutumes païennes. « Dès qu’il y a permanence de la foi, les coutumes ne sont rien » disait-il.

 

 Le christianisme a donc transformé progressivement, sans l’abolir, l’héritage antique païen, voulant assurer une continuité entre la Rome impériale et la Rome pontificale chrétienne. Les papes, « vicaires », et « consuls de Dieu » n’hésitent pas à comparer Romulus et Rémus aux apôtres Pierre et Paul, et à désigner l’assemblée des évêques de « Sénat de la curie du Ciel ». Ainsi, en assumant son histoire depuis ses origines, et en acceptant la « métamorphose de ses dieux antiques », Rome est devenue la « Roma Aeterna », la ville éternelle, qui rayonne encore aujourd’hui sur le monde.

M-C.E

 

 

 

Le mardi 13 avril 2021,

l’Académie a entendu en visioconférence

Monsieur Jean-Louis Charlet donner sa communication

L’abbé Rive et Mirabeau : de la politique et des livres.

M. Charlet en a fourni le résumé suivant.

 

 Né à Apt en 1730, et petit-fils d’un aixois, Rive amasse des trésors littéraires à partir de 14 ans. Devenu prêtre, il enseigne la philosophie à Avignon, puis obtient la cure de Mollèges. En 1767, il monte à Paris et devient l’année suivante bibliothécaire du duc de la Vallière. En 1786, l’archevêque d’Aix Mgr de Boisgelin lui propose de diriger la bibliothèque léguée aux Etats de Provence par le marquis de Méjanes. Mais, sans l’en aviser, on lui adjoint un sous-bibliothécaire, Jacques Gibelin, avec lequel il ne s’entendit pas. S’ajoutèrent des contestations sur sa rémunération et le refus d’acheter sa bibliothèque : Rive dirigea nominalement la bibliothèque… pratiquement sans y entrer !

 

 Rive s’engagea dans la Révolution ; il prétend y avoir contribué à l’élection de Mirabeau aux Etats généraux et lui donne des conseils politiques dans une lettre inédite du 14 juillet 1789 conservée à la bibliothèque Arbaud. Leur différend porte sur le droit de veto du roi. Leur rupture politique sera consommée en décembre 1790 après les émeutes d’Aix qui, à l’instigation de Rive, conduisirent à la pendaison de Pascalis, quelques mois avant la mort de Mirabeau (2 avril 1791), puis celle de Rive (20 octobre 1791).

 

  Mais Rive et Mirabeau ont eu en commun l’amour des livres : derrière le comte*** auquel Rive dédie sa Chasse aux bibliographes, il faut très probablement voir… le comte de Mirabeau et, dans son commerce « bibliopolitique », Rive a pu aider Mirabeau à se constituer en peu de temps une très belle bibliothèque. Les deux cartons d’environ 240 calques d’incunables ou d’éditions rares conservés à Arbaud ont préservé la majeure partie du matériel bibliologique (empreinte des caractères, lettrines, marques d’imprimeur…) amassé par Rive à partir de la fin des années 1770 en vue d’une grande histoire de l’édition imprimée que l’abbé, hémiplégique depuis 1789, n’a jamais pu mener à son terme.

 

Or, le catalogue de vente de la bibliothèque de Mirabeau (9 janvier 1792) contient un lot ajouté qui fit l’objet d’une attention particulière du rédacteur du catalogue et qui atteignit un prix considérable ;  il s’agit de 226 calques d’éditions anciennes, œuvre présentée comme unique et destinée à écrire une histoire de l’imprimerie ! L’auteur ne saurait être Mirabeau, mais correspond à ce que nous savons de Rive et que connaissaient ses contemporains. Cet ensemble de calques est bien celui constitué par Rive, qui en fait état à plusieurs reprises. On a du mal à penser que Rive ait cédé à Mirabeau tous les éléments de base de ce grand œuvre, que Mirabeau n’aurait pas été capable de réaliser et, fin décembre 1790, la rupture politique entre Rive et Mirabeau est consommée. Mais on peut supposer que les héritiers de Rive, qui n’ont pu faire vendre que ses livres imprimés sans trouver d’acheteur pour ses manuscrits, aient soustrait ce précieux lot pour le faire mettre discrètement et anonymement en vente à Paris. L’histoire des livres et des bibliothèques aura donc rapproché, après leur mort, Rive et Mirabeau.

 

 

 

 

Le mardi 20 avril 2021,

l’Académie a entendu une communication de

Monsieur Pierre DUSSOL,

intitulée : « Les oratoires du pays d’Aix,

du symbolisme religieux au décor urbain ».

 

Dès l’antiquité des niches sont dédiées à des divinités comme le dieu Montou en Egypte, Mercure et les dieux Lares chez les Romains, le dieu Sylvain chez les Gaulois. Cette pratique, reprise par les chrétiens, peut se justifier par la géographie des cultures et des voyages. On constate une continuité entre les mondes antiques païens et le monde chrétien.

 

Les oratoires sont des symboles religieux. Le centre ville à Aix est riche de 96 niches dont une trentaine sont vides et dont la moitié d’entre elles est  consacrée à la Vierge. Leur construction répond à des préoccupations tant religieuses que profanes. Il s’agit de demander protection contre les nombreuses calamités et plus particulièrement les épidémies : 23 épisodes de peste entre 1328 et 1720, typhus, choléra au 19ème siècle. Le courroux divin pouvant en être la cause, la réponse est la construction d’oratoires. Les Aixois ont pris lors de ces épisodes des mesures de précaution : malades isolés, pas de contact, églises fermées, prières devant un oratoire. Ces oratoires étaient éclairés, ce qui servait de marquage de l’espace public et de repère la nuit. Ils sont aussi le souvenir d’évènements. On les trouve sur l’emplacement des anciens remparts, pour empêcher les démons d’entrer dans la ville ou encore dans le quartier juif pour assurer la conversion de ses habitants. Ils peuvent rappeler un miracle, se situer sur le parcours des processions ou sur les lieux de châtiment.

 

Les oratoires sont conçus comme des éléments du décor urbain. Ils retracent l’histoire du tissu urbain, de l’architecture, de l’influence des ordres religieux. Dans la deuxième moitié du 17ème siècle l’architecte Pierre Pavillon multiplie les oratoires sur les façades d’hôtels du nouveau quartier Mazarin. Ce qui fait dire à JJ Gloton : « c’est le motif le plus caractéristique du paysage d’Aix, sous Louis XIV, celui où l’on saisit le mieux le passage de l’architecture à l’urbanisme et de la maison de rue, à la place, à l’ensemble urbain ».

 

L’existence des Amis des Oratoires dès les années 30 et de l’ARPA de nos jours sont le signe d’un souci de préservation du patrimoine urbain. Ce souci consiste à répertorier les oratoires les plus dégradés, à estimer les techniques à mettre en œuvre, à faire appel à des professionnels compétents, à établir un devis et à trouver le financement. Les oratoires font partie du « petit patrimoine », au même titre que les mascarons, les arêtiers ou les portes anciennes et s’ils sont dits « petits », ce n’est qu’en fonction des budgets qu’on peut leur consacrer, car ils portent les valeurs associées au patrimoine : respect des œuvres anciennes, du travail bien fait, attachement aux souvenirs et à la culture dont elles proviennent.

 

« On le les voit pas mais quand on les a vus, on ne voit plus qu’eux »

 

M.C.

 

 

 

 

Le mardi 23 mars 2021,

l’Académie a entendu une communication de

Monsieur Max MICHELARD,

intitulée : « Mais qu’est-ce donc que le temps ? ».

 

Saint Augustin : « Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Si quelqu’un me pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus ». Les réponses ne peuvent être que multiples. En effet, qu’est-ce que le temps pour un économiste, un géographe ou un historien, pour un biologiste, un médecin, un philosophe ou pour la justice ou les media ? Le conférencier propose de répondre à la question : qu’est-ce que le temps de la science ?

Il rappelle que pour Aristote le temps est « le nombre du mouvement, selon l’avant et l’après », que Galilée prend en compte la variable temps et que Newton introduit le paramètre temps dans les équations de la physique.

 

La nouveauté vient d’Einstein qui adopte la notion d’« espace-temps » : chaque région de l’espace-temps dispose d’un temps qui lui est propre et régi par le mouvement des objets et les masses qu’il contient. Les horloges atomiques mesurent des écarts de temps infimes. On pourrait constater qu’une horloge placée au rez de chaussée de l’Académie avancerait plus lentement que celle placée à l’étage : c’est l’effet de la gravité. Plus on se rapproche d’un corps massif, plus le temps ralentit. Si l’on monte en altitude, le temps s’écoule plus vite. Lorsqu’on regarde le soleil, on perçoit des images émises huit minutes auparavant. L’information nous parvient avec un décalage qui correspond au temps de trajet de la lumière soit 300 000 km/s. Pour des étoiles qui sont à des années-lumière, nous observons les images d’objets qui n’existent plus, peut-être.

Ces considérations vont à contresens de nos perceptions. Notre cerveau nous trompe quand nous percevons les phénomènes de la vie courante. Bachelard écrit : «  toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique ».

 

L’apport des mathématiques est fondamental. Elles nous permettent d’accéder, sinon à la réalité des choses du moins à une représentation, une interprétation du monde à un moment donné dans le cadre mathématique du moment. Ainsi, Newton conçoit sa théorie avec la géométrie d’Euclide : l’espace est rigide, le temps est universel et statique. Pour Einstein, l’espace est courbe, le temps est local. Henri Poincaré et Minkowski ont réuni l’espace et le temps, idée reprise par Einstein pour développer la théorie de la relativité générale. L’espace-temps est vu comme un bloc à quatre dimensions qui se comporte comme un corps gélatineux : mou, élastique et déformable. Ce qui fait dire qu’il est courbe. Dans un tel espace, le théorème de Pythagore est bouleversé puisque la longueur de l’hypoténuse est supérieure à la somme des longueurs des deux autres côtés.

 

Le Petit Robert donne sa définition du temps : « le temps est une continuité indéfinie, qui paraît être le milieu où se déroule la succession des existences, des vies, des évènements et phénomènes, les changements… ». En fait, on ne sait pas définir le temps. On explique le temps par des notions qui incluent le temps. On confond temps et durée : le temps correspond à un évènement, à une date alors que la durée est l’histoire qui se situe entre deux évènements. Lorsqu’il est 15 h à la pendule, cela signifie qu’il s’est écoulé 15 heures depuis un repère. Les horloges ne mesurent pas le temps. Le temps est défini par ce que mesurent les horloges.

 

Toutes ces considérations permettent de dire que la simultanéité n’existe pas car il y a deux décalages, celui du son et celui de la lumière. Exemples : un mot prononcé n’est reçu que quelques fractions de seconde plus tard ou encore, le décalage entre l’éclair et le tonnerre. Le présent simultané n’existe pas : le présent de la Terre n’est pas celui du Soleil. Il y a autant d’ici et de maintenant que d’observateurs. Chaque point de l’espace-temps a un temps propre.

 

 Plus on lit loin dans l’espace, plus on lit loin dans le passé.

Certes, notre quotidien ne perçoit pas ces phénomènes, mais les questions sont posées : comment fonctionne notre monde ? le temps existe-t-il ? quel est ce moteur du temps qui fait que le présent succède au présent, qui empêche un présent durable ?

Le mot temps est utilisé quelle que soit l’époque et la réflexion. Nous avons d’autres visions du temps que nos prédécesseurs mais il faudra du temps pour découvrir ce qu’est le temps. Cette conférence très savante et très intéressante, nous invite à réfléchir sur notre propre approche du temps…

 

M.C.

 

 

 

 

 

 

 Le mardi 9 mars 2021,

 l’Académie a entendu Monsieur Hirotaka Ogura

donner en visioconférence depuis le Japon,

sa communication Aspect dissimulé de l’Athalie racinienne.

 

 En période pré-révolutionnaire, un siècle après sa création, Athalie de Racine s’attira les foudres de la censure, car le peuple prenait parti pour le personnage de Joad complotant contre la reine impie. Voltaire, considérant le Grand prêtre comme un fanatique, prenait le parti d’Athalie. Ces positions contraires révèlent un « aspect dissimulé » de la pièce.

 Pour Racine, cette tragédie a pour sujet « Joas reconnu et mis sur le Trône ». L’action dramatique progresse jusqu’à l’acmé : la rencontre de la reine usurpatrice et de son petit-fils Eliacin-Joas roi légitime, avec la révélation de la véritable identité de celui-ci, rescapé du massacre perpétré par sa grand-mère. Joas inspire de la compassion. Athalie inspire de la terreur. L’action est donc fondée sur un antagonisme entre les élus et les ennemis du Dieu d’Israël.

 Cependant, cet antagonisme est troublé par la prophétie de Joad annonçant « le funeste changement de Joas qui, après trente ans d’un règne fort pieux…se souilla du meurtre de Zacharie, fils et successeur du grand prêtre ». Selon l’Académie et certains critiques, cette prophétie détruirait l’intérêt dramatique. C’est négliger le fait que la prophétie annonce la chute de Jérusalem, conséquence du crime de Joas, puis la création de l’Eglise. Racine écrit : « Ce meurtre commis dans le temple fut une des principales causes de la colère de Dieu contre les juifs, et de tous les malheurs qui leur arrivèrent dans la suite…Mais comme les prophètes joignent d’ordinaire les consolations aux menaces, et que d’ailleurs il s’agit de mettre sur le trône un des ancêtres du Messie, j’ai pris occasion de faire entrevoir la venue de ce Consolateur. » La prophétie de Joad investit donc la tragédie d’un sens profond, chrétien et providentiel, d’ailleurs donné par allusion, dès le début de la pièce où Joas est désigné à plusieurs reprises, comme « fils de David », expression qui s’applique au Christ.

 Mais, si Joas descend de David, dans ses veines coule aussi le sang d’Achab, père d’Athalie, et des coupables rois de Judée. Par son hérédité criminelle, Joas n’échappera pas à la sévérité de Dieu. A la prophétie de Joad, répond le songe d’Athalie. Comme la prophétie, ce songe est fait d’ombre et de lumière, l’ombre de sa mère Jézabel « Comme au jour de sa mort pompeusement parée », et la lumière de l’enfant Joas qui plonge « un homicide acier » dans son sein. La loi du sang et de la vendetta, affronte ainsi l’annonce du Messie et de la nouvelle Jérusalem.

 L’action dramatique se trouve bien dotée d’un sens énigmatique. L’énigme tient à ce que le couronnement de Joas, sujet même de la tragédie, signifie à la fois le triomphe du Dieu des Juifs qui a « tout conduit », mais aussi la promesse de la vengeance d’Athalie, qui se réalisera dans le meurtre de Zaccharie.

 Les deux émotions tragiques, la pitié et la terreur, se trouvent ainsi brouillées, car Dieu sauve un ancêtre du Christ, pour en faire plus tard un criminel et un profanateur. Les voies de Dieu sont vraiment bien impénétrables. Mais tous les hommes, sans exception doivent s’y soumettre. C’est ce que rappelle le grand prêtre Joad au nouveau roi Joas :

« Apprenez, Rois des Juifs, et n’oubliez jamais,

Que les Rois dans le ciel ont un juge sévère,

L’Innocence un Vengeur, et l’Orphelin un Père. »

L’Innocence représente à la fois Joas et le futur Zacharie.

 

 En révélant cet « aspect dissimulé » de la tragédie de Racine, le conférencier n’en a pas moins évoqué les années 1990 où étudiant à Aix, et sensible à la beauté du vers racinien, il fut émerveillé par une dame septuagénaire qui lui récita par cœur tout le songe d’Athalie. C’était, en ce temps-là, un magnifique morceau d’anthologie de la poésie française.

 

M-C.E

 

 

 

 

 

 Le mardi 19 janvier 2021,

Monsieur Jean Donnadieu

a donné à l’Académie, en visioconférence, sa communication

La France et le Proche-Orient. Le moment Michaud (1767-1839).

 

 Dans l’historiographie de la présence française au Proche-Orient depuis les Croisades jusqu’à l’expédition d’Egypte de Bonaparte, « le moment Michaud » occupe une place singulière.

 Le Savoyard Joseph François Michaud, membre de l’Académie française et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, est l’auteur d’un livre à succès, une Histoire des Croisades, composée dans les années 1805-1830.

 

C’est l’époque où l’Institut propose comme sujet de dissertation : L’influence des croisades sur la liberté civile de l’Europe, sur la civilisation, sur les progrès des lumières, du commerce et de l’industrie.

 Michaud se

fixe trois règles : l’objectivité, la précision et la clarté. Il n’hésite pas pour cela à puiser dans les récits des simples chroniqueurs, à consulter la traduction des manuscrits arabes, à vérifier ses données en se rendant au Proche-Orient. Pour ajouter un complément géographique à son Histoire, dont la cinquième édition paraîtra en 1838, Michaud entreprend un périple de la Morée à Constantinople, Jérusalem, la Basse Egypte, Malte. « Je voyage aujourd’hui pour corriger mes fautes » dit-il. Son but final est celui d’une vulgarisation de la connaissance : « Un abrégé des grandes choses enfermées dans l’histoire des croisades était dans les vœux du grand public…les nombreux lecteurs appartenant aux humbles fortunes demandaient qu’on retraçât dans une narration rapide les curieux et beaux moments de nos croisades ». Une sixième édition de cette Histoire paraît en 1842, à la fin de la crise d’Orient.

 

  Le contexte politique est le suivant : après l’échec du soutien apporté par la France à l’Egypte d’Ibrahim Pacha, Guizot, qui succède à Thiers, revient à une politique apaisée avec la Sublime Porte, et la France retourne à sa tradition protectrice des minorités chrétiennes du Proche-Orient. De 1840 à 1860, le rétablissement de l’autorité ottomane se fait dans un climat de désordre dans lequel la France et l’Angleterre sont les arbitres des conflits locaux. Le traité de Paris (1853-1856) fait des puissances européennes les garants de l’émancipation des communautés chrétiennes dans l’Empire ottoman. En 1855, naît en France l’Œuvre des Ecoles d’Orient. Dans la Proclamation du 7 août 1860 aux soldats du corps expéditionnaire en Syrie, envoyés pour protéger les chrétiens d’Orient, se fait entendre l’écho du souvenir des croisades : « Sur cette terre lointaine, riche des grands souvenirs, vous ferez votre devoir et vous vous montrerez les dignes enfants de ces héros qui ont porté glorieusement dans ce pays la bannière du Christ »…

 

 La seconde moitié du 19e siècle voit se multiplier, chez les éditeurs Furne de Paris ou Mame d’Angers, les tirages de l’Histoire des croisades. Cela va de pair avec les événements d’Orient, le poids en France d’une opinion catholique, relayée au Proche-Orient par l’œuvre des écoles chrétiennes. L’Histoire des croisades abrégée à l’usage de la jeunesse est souvent donnée comme livre de prix aux élèves. Et la République, jusqu’à la Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, a soutenu les écoles catholiques, agents de diffusion de la culture française dans l’Empire ottoman. L’œuvre de Michaud parait bien avoir été un instrument propre à servir les enjeux de la présence française en Orient.

 

 Cette communication très dense aura fourni de nombreuses pistes de réflexion pour rapprocher l’histoire de l’actualité.

M-C.E

 

 

 

 

Le mardi 26 janvier 2021,

Monsieur Michel GANZIN a présenté à l’académie

une communication intitulée :

 « L’Education du citoyen républicain (1792-1875) ».

 

Le héros, modèle idéal du citoyen républicain.

Au 18ème siècle, généraliser l’instruction est perçu comme un moyen de diffuser les « Lumières » et d’émanciper l’éducation par rapport à la religion. La Révolution va mettre à l’ordre du jour la question de la mission éducatrice de l’Etat mais avec la tentation de modeler la société par le biais de l’instruction. L’innovation révolutionnaire réside dans la création en décembre 1793 d’un culte héroïque pour régénérer la nature humaine et transformer le sujet en citoyen souverain, culte qui s’appuie sur trois éléments :

 - Le  recours à l’antique permet de faire des héros antiques, des modèles de grandeur.

 - L’hostilité révolutionnaire à la religion a pour objectif de laïciser l’Etat et la société, en visant l’Eglise et les saints plutôt que Dieu lui-même. Le personnel politique perçoit chez le peuple un besoin de sacré. Il en propose un ersatz fondé sur la vertu et le patriotisme. Il s’ensuit la tendance à sanctifier le héros qui devient le modèle du citoyen et le nouveau saint des temps modernes.

 - Le patriotisme devient synonyme d’amour de la liberté et de la République. La guerre de masse est révolutionnaire puisqu’elle oppose la République aux rois et développe un esprit de sacrifice allant jusqu’à la mort. Il s’agit de mobiliser et politiser les masses et de façonner un citoyen moderne.

 

Ainsi, dans l’esprit des révolutionnaires, l’enseignement doit constituer le pilier du système pour élever les nouvelles générations dans l’amour de la République, pour instaurer une morale républicaine et mettre l’accent sur des héros. Pour s’emparer de l’existence entière de chaque individu, tous les moyens de propagande sont utilisés : sociétés populaires, presse, enseignement, tribune, arts. Le théâtre est exploité à des fins politiques, la scène devient un instrument d’éducation civique : par le décret du 2 août 1793, « seront représentées trois fois par semaine sur des théâtres à Paris… les tragédies de Brutus, Gracchus… aux frais de la République ». La fête révolutionnaire fait la part belle à l’héroïsme, c’est le temps des panthéonisations. Dans le domaine de la peinture, David assigne aux artistes de « présenter sans cesse les traits sublimes d’héroïsme et de vertu ». Le héros se veut le représentant d’un peuple transfiguré en peuple de héros. La vie du héros doit donc être irréprochable : bon fils, bon époux et bon père car ses vertus privées conditionnent les vertus publiques.

 

L’éducation du citoyen : un impératif républicain (1859-1875).

La II République apporte le suffrage universel et Carnot considère qu’il appelle l’instruction universelle obligatoire parce que le souverain collectif ne saurait être éclairé que dans la mesure où tous les citoyens le seront. Naît le souci d’un Etat enseignant et dispensateur de l’éducation. Pour Michelet, l’éducation est la première partie de la politique. Mais la fierté d’avoir donné la parole au peuple se combine avec l’inquiétude que le nombre pourrait faire de cette souveraineté.

Vacherot puis Barni placent au centre de leurs réflexions la question de l’éducation du citoyen. L’éducation est indissociable de l’instruction. La famille, berceau de l’éducation, conduira l’homme à un point où il deviendra capable de penser par lui-même. L’instruction qui doit diffuser une « morale civique » incombe à l’Etat qui doit mettre en place un enseignement primaire obligatoire, gratuit et laïque qui doit éliminer les questions religieuses sans pour autant choquer les croyances de la famille. Vacherot et Barni annoncent le credo de la III République selon lequel l’éducation et l’instruction, fondées sur la raison, permettent au peuple de faire bon usage de la souveraineté nationale.

Vacherot et Barni font de l’école l’instrument fondamental de la modernité républicaine. C’est la III République qui va parachever la liaison entre l’éducation-instruction et le suffrage universel.

 

Notre confrère a offert à l’Académie une communication très savante, très riche sur un thème qui est toujours d’actualité.

 

M.C.

 

 

 

 

 

 

 

 Le mardi 2 février 2021,

l’Académie a entendu Monsieur Louis Dubouis

donner, en visioconférence, sa communication

L’affaire Vincent Lambert sous la toise du droit.

 

 L’affaire Vincent Lambert, du nom de cet infirmier psychiatrique de 50 ans, plongé dans un état végétatif chronique depuis un accident de la route en 2008, décédé au CHU de Reims le 11 juillet 2019, après interruption de traitement, est une affaire complexe et emblématique.

 

 Le 10 avril 2013, quatre ans et demi après l’accident, considérant que continuer à soigner Vincent relèverait de l’« obstination déraisonnable », l’équipe médicale de Reims met en œuvre l’interruption des traitements (alimentation et hydratation par voie de sonde). Cette décision va déchirer la famille de Vincent Lambert. Elle sera combattue par les parents de Vincent, et défendue par son épouse et la majorité de ses frères et sœurs. Dans cet affrontement parfois violent, les juges ne rendront pas moins de 35 décisions. Des personnalités se positionneront pour ou contre l’interruption des traitements.

 

 Les données de cette affaire sont médicales : les collèges d’experts concluent à l’existence de lésions cérébrales graves, irréversibles, entraînant l’absence de volonté et de manifestations de souffrance consciente. La mère de Vincent estime que son fils continue de communiquer avec les autres par signes et que subsistent des espoirs d’amélioration. Elle demande un transfert de son fils dans un autre établissement plus adapté.

 Les données sont juridiques : les règles du droit français sont l’œuvre de la loi Léonetti de 2005, complétée par la loi Claeys-Léonetti de 2016. Il résulte de ces lois que si toute personne a le droit de recevoir jusqu’à sa mort les soins les plus appropriés à son état de santé, ces soins ne doivent pas être poursuivis par « obstination déraisonnable ». Le médecin est tenu de respecter la volonté du patient, mais si celui-ci n’est pas en état de l’exprimer, s’ouvre la « procédure collégiale » qui doit tenir compte des « directives anticipées » du patient.

 Les données sont morales, philosophiques et religieuses : l’affaire Lambert « renvoie aux interrogations fondamentales de l’humanité, au sens de la vie, à la souffrance, à la mort et à l’au-delà », comme le déclare le Rapporteur public devant le Conseil d’Etat.

 

 La diversité de ces données explique la difficulté pour trouver, au bout de six années, une solution à une affaire qui aura donné lieu à quatre procédures. La décision d’interrompre les traitements pour éviter une « obstination déraisonnable », est rendue le 24 juin 2014 par le Conseil d’Etat. Il a réuni sa formation la plus solennelle, et a tenu compte de l’expertise de trois médecins proposés respectivement par l’Académie nationale de médecine, le Comité national d’éthique, et le Conseil de l’Ordre des médecins. Cette décision est confirmée le 5 juin 2015 par la Cour européenne des Droits de l’homme. Ce sont ces décisions qui ont servi de base au choix final.

 

 Cette affaire est emblématique. Dans notre droit, le patient conserve jusqu’au bout tous les droits inhérents à la personne humaine, à commencer par le droit à la vie. Mais une atteinte à la vie est licite, si elle se fonde sur le libre exercice de la volonté du patient, et s’il bénéficie d’une protection face au pouvoir médical. Le droit distingue euthanasie et simple abstention thérapeutique, mais dans le cas Lambert, la recherche de la volonté du patient est problématique, puisque celui-ci n’était pas en mesure de l’exprimer. Le témoignage de l’épouse de Vincent et d’un de ses frères ont attesté de sa volonté exprimée avant son accident, d’en finir s’il se trouvait dans un état végétatif. Cela tenait lieu de « directive anticipée », qui devait être respectée. Cette position fut contestée par les parents parce que Vincent n’avait laissé aucun écrit.

 La décision incombait donc au pouvoir médical, encadré par une « procédure collégiale », et soumis au contrôle du juge. Le cas de Vincent Lambert a été tranché, en fonction de l’état de celui-ci, et de sa volonté antérieurement exprimée. Mais l’affaire n’est pas terminée puisqu’une action pénale dirigée contre les médecins est encore en jugement devant la Cour de cassation.

 

 Cette affaire complexe révèle la difficile conciliation entre protection de la vie et respect de la liberté du patient. Elle est dominée par l’affrontement douloureux entre deux femmes aimantes, une mère et une épouse. Cependant, nous sommes tous concernés. Dans l’actuelle épidémie de Covid, comment ne pas penser au sort que notre société réserve aux personnes que le handicap, l’âge, plongent dans une situation de profonde détresse ?

 

M-C.E

 

 

 

 

 

 

 

Le mardi 12 janvier 2021,

l’Académie a entendu une communication de

Monsieur Jean-Yves NAUDET,

intitulée : « Claudio Jannet : académicien aixois, économiste à la Catho de Paris et membre de l’Ecole d’Angers ».

 

Né à Paris en mars 1844, Claudio Jannet n’a que 3 ans lorsque son père décède. Sa mère décide de rejoindre sa famille à Marseille puis s’installe à Aix. Titulaire du baccalauréat en 1860 avec la mention « extrêmement bien », Claudio Jannet s’inscrit à la faculté de droit dont il sera « un des élèves les plus brillants » : des premiers prix,  licence, doctorat, thèse de droit romain en 1867. Membre du conseil municipal, avocat à la Cour impériale d’Aix, ce juriste s’intéresse aussi aux questions économiques et sociales. Dans ses nombreux ouvrages, on retrouve l’importance centrale de la famille, l’application du Décalogue, son opposition aux sociétés secrètes. Son esprit observateur, son élévation de pensée, son érudition lui ouvrent les portes de l’Académie d’Aix en 1871 : il a 27 ans !

 

La loi de 1875 relative à la liberté de l’enseignement supérieur a permis la création des cinq « vieilles cathos » : Paris, Angers, Lille, Lyon et Toulouse. Les universités catholiques ont souhaité créer des chaires d’économie politique. En 1876, la catho de Paris lui propose un poste qu’il accepte et dès 1878, il est professeur titulaire et le reste jusqu’à sa mort en 1894, à l’âge de 50 ans. Il gagne le respect et l’attachement des étudiants qui apprécient la richesse et l’ampleur ordonnée de ses cours. Ses publications sont nombreuses. Il veut rapprocher économie et christianisme et faire de l’économie politique une science chrétienne. La question morale est centrale. L’autre thème dominant chez Jannet est son hostilité au socialisme d’Etat, aux collectivités révolutionnaires. Pour lui, le remède à la question sociale est dans les corps intermédiaires et dans la famille. L’autorité paternelle accomplira ce qui est au dessus des forces de l’autorité politique.

 

C’est par conviction qu’il participe à l’école d’Angers, dirigée par Mgr Freppel. Pour ce dernier, le christianisme est fondé sur la dignité de la personne humaine et la libre disposition de ses actes. L’Etat ne doit entreprendre que ce que les particuliers ne peuvent faire de leurs propres forces. L’Etat doit se limiter à la protection des droits et à la répression des abus. Claudio Jannet y retrouve ses thèmes favoris : défense de la famille, de la propriété privée, de la liberté économique, hostilité radicale au socialisme, application de la morale chrétienne à la vie économique et sociale et rôle limité de l’Etat.

 

Claudio Jannet méritait bien un tel hommage pour son brillant parcours universitaire aixois et parisien et pour son appartenance à notre Académie. Homme de conviction, il  défendit pendant sa courte vie des « thèses antiétatiques, antisocialistes, plutôt libérales en économie, centrées sur la famille et reposant sur la morale ».

 

M.C.

 

 

 

 

 

Le mardi 15 décembre 2020,

Monsieur Bernard TERLAY

a présenté à l’Académie une communication intitulée : « Portraits oubliés d’un peintre aixois du 18ème siècle, Claude Arnulphy, 1698-1786 ».

 

Le conférencier a eu la chance de récupérer les archives laissées par Maurice Raimbault (1865-1942), membre de notre confrérie et conservateur du musée Arbaud, qui s’était intéressé au peintre aixois Claude Arnulphy et qui avait obtenu, en 1928, qu’un article lui soit consacré dans un ouvrage sur Les Peintres français du 18ème siècle.

 

Claude Arnulphy est né à Lyon en 1698. Son père Charles est peintre et a exercé son métier à Paris, Lyon, Grenoble. Des liens familiaux expliquent la présence de Claude Arnulphy à Aix. Il se marie en 1731 à la paroisse Sainte Madeleine. Sur les dix enfants nés de cette union, seul son fils François exercera le métier de peintre. Claude Arnulphy possède une maison rue de la porte Saint Louis et achète en 1748 une propriété au quartier de la Touesse, complantée de vigne et d’oliviers. Il est membre de la confrérie des peintres et sculpteurs de la ville d’Aix de 1716 à 1759, membre associé de l’Académie de Marseille en 1783 et directeur de l’Ecole  de dessin d’Aix en 1785.

 

Que sait-on de ses œuvres ?

Il a été chargé des réparations des tableaux de la chapelle de la grande tournelle au Palais Comtal ou d’estimations de tableaux.

Ce peintre et aquarelliste a laissé plus de 130 œuvres, dont la majeure partie appartient à des collections privées : portraits de membres de la noblesse, de parlementaires ou d’ecclésiastiques.

Le musée Granet possède neuf de ses œuvres et notre Académie conserve un pastel représentant un autoportrait daté de 1744. Dans l’église de Meyreuil, il réalise un tableau religieux : le Christ montrant son cœur à Marguerite Marie. Il est sollicité de se rendre à Villefranche-sur-mer pour exécuter les portraits d’officiers anglais, œuvres conservées au National Museum de Greenwich.

 

Lorsqu’il meurt en  1786, il est enseveli dans le cimetière des Récollets (Ordre mendiant établi à Aix en 1613).

 

Cette communication illustrée par une abondante iconographie a permis de redonner vie à cet artiste aixois oublié.

 

M.C.

 

 

 

Le mardi 24 novembre

l’Académie a entendu une communication

du général Bernard JOUISHOMME, intitulée :

« Vauban en Provence et dans les Alpes ».

 

Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, naît en 1633 à Saint Léger de Foucheret dans l’Yonne et meurt à Paris en 1707. Sa vie est celle d’un serviteur du roi et de son pays. Ingénieur ordinaire à 22 ans, Commissaire général des fortifications à 45 ans, il ne reçoit son bâton de maréchal qu’en 1703, il a 70 ans. Il travaille avec des ministres dont Colbert et Louvois, n’est pas toujours bien reçu à la Cour mais peut se flatter d’avoir comme amis et admirateurs Racine, Boileau, et les maréchaux, Catinat et d’Humières.

Entre 1661 et 1691, Vauban recrute 350 ingénieurs, exigeant d’eux travail et présence sur les chantiers pour surveiller les entrepreneurs qui emploient ouvriers, artisans, tailleurs de pierre et pour vérifier les travaux en cours et les matériaux employés. S’il leur accorde emplois, grades et récompenses et évite pour eux des mutations trop fréquentes, il est en revanche très sévère avec les ingénieurs et entrepreneurs incompétents et malhonnêtes. Vauban est attaché au juste prix, demande des devis qui sont envoyés aux ministres afin qu’ils aient « une intelligence parfaite de ce que l’on prépare ». Il distingue deux sortes d’ingénieurs : ceux des tranchées et ceux des fortifications, mais pour lui tous doivent avoir du bon sens et de l’expérience et tirer tous les avantages de la situation du terrain.

Pour mener ses chantiers, Vauban dispose d’un réseau de relations dans tout le pays et d’une masse de renseignements pour connaître la géographie des régions frontalières. Il réside et travaille dans trois lieux : Bazoches en Bourgogne, l’hôtel du gouverneur à Lille et son appartement à Paris. Bazoches, c’est le château familial où il n’a séjourné que 40 mois. La vaste galerie du premier étage est occupée par le bureau d’études, une niche de « dessineurs, ingénieurs, secrétaires et hommes d’affaires où seront dessinées plus de 300 places fortes ». Dans chaque province, il y a un bureau des cartes et Paris reçoit chaque mois des brouillons qui doivent être vérifiés par des ingénieurs. Une observation précise des villes donne naissance à des maquettes appelées « plans-relief » : 32 sont construites entre 1670 et 1709. Sur ces plans, est figurée la campagne environnante dans la limite des portées de l’artillerie, pour permettre de préparer les opérations de siège et ordonner les améliorations nécessaires. Ces représentations sont « secrets d’Etat ». Toutes ces tâches supposent des déplacements importants dans le pays : les ingénieurs parcourent des milliers de kilomètres mais Vauban n’est pas en reste puisqu’il a parcouru 180 000 kilomètres en 55 ans ! Pour ce faire, il utilise la berline pour le confort, la poste royale pour la vitesse ou le carrosse d’apparat pour la gloire sans oublier les chevaux, les mulets en montagne et les transports fluviaux.

 

Les régions frontalières du Sud-Est de la France sont riches en places améliorées ou créées par Vauban. Sur la côte provençale, il s’est intéressé aux îles d’Hyères, à Antibes, Saint Tropez mais surtout à Toulon, port de guerre aménagé dès la fin du 16ème siècle. Il y séjourne trois semaines en 1679 et définit quatre priorités : agrandir l’arsenal, étendre la ville et assurer la défense terrestre et maritime de la place. Trois forts sont améliorés ou construits. Il fait construire dans l’arsenal, bureaux, magasins, forges, réservoirs pour le goudron, fours, corderie, maisons d’habitations, chapelle et prisons.

Vauban se rend plusieurs fois dans les Alpes. Sur le site spectaculaire d’Entrevaux, est édifiée une rampe fortifiée de 800 mètres qui mène de la ville au château, le pont-levis, les deux tours rondes et la porte royale. Il n’intervient pas à Colmars, Sisteron et Embrun. Il est séduit en 1692 par le plateau de Mille-Aures (mille vents), une plate-forme inclinée, limitée sur trois côtés par des falaises et qui verrouille les accès vers le Queyras et l’Ubaye. Malgré les difficultés liées au vent et au terrain, Vauban décide d’en faire une place forte qui accueillera outre la garnison militaire, la population civile. Installer des familles permet d’éviter les désertions et de rendre plus agréable la vie de ceux qui sont chargés de la place. Quel nom lui donner ? Le choix se porte sur Montdauphin.

A Château-Queyras, château fort du 13ème siècle, Vauban prévoit une extension et une nouvelle enceinte, car cette place verrouille la vallée du Queyras et la rend incessible à ceux qui arriveraient des cols Lacroix, Saint Martin et Izoard.

Lorsque Vauban arrive à Briançon en 1692, place stratégique au carrefour de quatre vallées et sous le col du mont Genèvre, il estime sa protection insuffisante. Il prescrit la construction de la porte de Pignerol avec un pont-levis, renforce l’enceinte du corps de place, prévoit une caserne pour éviter la charge des troupes chez l’habitant et prévoit des fortifications sur les sommets qui dominent la ville.

 

Cette communication riche, dynamique et efficace a permis aux académiciens de mieux connaître Vauban, d’apprécier ses qualités professionnelles et humaines et de comprendre l’admiration du conférencier pour ce grand serviteur de l’Etat. Qui, mieux que Saint-Simon a pu définir celui qu’il appelait « le Grand Vauban », « le plus honnête homme et le plus vertueux de son siècle et avec la plus grande réputation du plus savant homme dans l’art des sièges et des fortifications, le plus simple, le plus vrai, le plus modeste ».

 

M.C.

 

 

 

 Le mardi 17 novembre 2020

l’Académie a entendu Monsieur Jean-Louis Bergel donner en visioconférence, pour cause de covid, sa communication

Existe-il, en peinture, un expressionnisme provençal ?

 

 L’expressionnisme, affranchi de l’Académisme, est un art dans lequel la réalité est déformée au profit de la vision intérieure subjective. Né en Allemagne vers 1905, ce courant artistique dure jusqu’en 1920. A son contact dès 1912, les peintres du Midi développent pendant les années 1930/1940, dans le prolongement du fauvisme provençal, leur propre « expressionnisme ». En effet, alors que les œuvres germaniques sont marquées par l’angoisse et le pessimisme, la peinture des provençaux, Ambrogiani, Ferrari, Mandin, Serra… se caractérise, par l’usage exacerbé des couleurs, le bouleversement des formes, la violence des reliefs, la force des scènes de la vie et des tempéraments, et par l’éclatante lumière du Midi.

 

 Pierre Ambrogiani (1907-1985) « libère torrentiellement un tempérament à l’état premier, une passion inassouvie de triturer la couleur, de la répandre comme une lave où les ardeurs incandescentes se mêlent souvent aux scories dont il faut attendre le refroidissement afin d’en déceler la densité et la cristallisation ».

 Antoine Ferrari (1910-1995) s’exprime par « de larges aplats pigmentés étalés au couteau, des jaunes orangés jouxtant un bleu de Prusse, des rouges écarlates jouxtant un vert émeraude, le tout pouvant voisiner avec des respirations plus douces d’ocres, de rose pâle, de blancs ».

 Richard Mandin (1909-2002) supplante un dessin sommaire sous des épaisseurs de pâte, et noie ses objets dans une matière de même tonalité que leur environnement.

 Antoine Serra (1908-1995), enraciné dans la vallée des Baux, entretient des liens avec  Seyssaud, Chabaud, Buffet, Mélik, Priking.

 D’autres peintres illustrent ce mouvement : Louis Mathieu Verdilhan (1875-1928), Louis Toncini (1907-2002), François Diana (1903-1993), François Lombardi (1925-1996), Henri Autran (1926-2007), Guy Toubon.

 

 Cet expressionisme provençal n’a rien de systématique et d’organisé, il n’est le fait que de tempéraments individuels. Ces peintres traduisent leurs fortes émotions par la violence, les contrastes de couleurs pures, les cernes noirs qui découpent les objets, les personnages et les paysages. La déformation des formes dans des compositions sans perspective constitue également l’une des constantes de cet expressionnisme. Les œuvres représentent des thèmes somme toute classiques, des nus, des autoportraits qui rappellent ceux d’Egon Schiele, des paysages, des natures mortes, des scènes populaires, artistiques ou symboliques. Mais c’est la nature propre du pays provençal, avec sa lumière, son exubérance et sa rudesse, qui semble avoir libéré la subjectivité de ces artistes, et favorisé le développement d’un authentique « expressionnisme provençal » que l’on peut qualifier, dans la clarté apollinienne, d’art dionysiaque.

 

 

M-C.E