Académie des Sciences, Agriculture,
Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence
Accueil
Le mardi 30 novembre 2021,
l'Académie a entendu M. Jean-Luc Kieffer
donner la première partie de sa communication
L'académie pendant la seconde guerre mondiale (1939-1942).
Cette étude s'inscrit dans la suite d'un ouvrage qui fait autorité, celui de Maurice Gontard, Histoire de L'Académie d'Aix de 1808 à 1939, et de deux publications plus récentes de l'Académie : Deux siècles d'Aix-en-Provence : 1808-2008, et Aix au temps de Paul Arbaud.
La première partie de la communication traite de la guerre et de la protection des biens culturels jusqu'à l'installation du régime de Vichy en 1940. Le pillage des biens culturels et la destruction des villes qui ne sont pas considérées comme des objectifs militaires, ont été interdits par les conventions de La Haye de 1895 et de 1907, renforcées en 1954 par une nouvelle convention de La Haye, puis par celle de Genève en 1977, et par l'action décisive de l'UNESCO.
Qu'en est-il pour l'Académie ? Ses œuvres, bien qu'appartenant au domaine privé, sont prises en compte sur le modèle des biens publics. Dès septembre 1932, notre conservateur Maurice Raimbault est confronté aux prémices de la guerre. Il lui est recommandé de vider les combles de l'hôtel Arbaud et d'y répandre du sable par crainte des incendies. En août 1936, sous le Front populaire, après la remilitarisation de la Rhénanie, la guerre d'Ethiopie et les débuts de la guerre d'Espagne, le Directeur des musées nationaux demande à Maurice Raimbault « de dresser de toute urgence les listes des objets conservés dans le musée qui, en cas de conflit international, devraient être évacués par les soins des autorités compétentes ». Notre conservateur établit ainsi une liste de sécurisation première et une liste de seconde urgence. En septembre 1939, suivant les instructions du ministère, 7 caisses sont évacuées à l'abbaye de Sylvacane. Elles y restent jusqu'au 30 avril 1941, date à laquelle elles sont rapatriées sous l'autorité de M. Billioud, bibliothécaire en chef de Marseille, conservateur des Antiquités et responsable des évacuations.
Quelle a été la vie de l'Académie de 1939 au 22 juin 1940 ? La composition de cette institution, en membres titulaires, associés, correspondants, ne diffère guère de celle d'aujourd'hui. Cependant, de 1939 à 1942, il est à noter que la moitié des titulaires habitent le quartier Mazarin. Pendant cette période, l'Académie poursuit avec régularité son activité habituelle. Elle continue d'attribuer des prix, même si elle en diminue le montant, et en suspend certains.
La France, qui a déclaré la guerre à l'Allemagne le 2 septembre 1939, capitule le 22 juin 1940. Le 11 juillet, à Vichy, le maréchal Pétain promulgue les trois actes constitutionnels mettant fin à la Troisième république. Le 29 août, Pierre Médan, ancien combattant de 14-18, président de l'Académie depuis le 28 novembre 1939, va rejoindre la Légion des combattants. Dans sa séance de rentrée du 19 novembre 1940, il propose de faire adresser par l'Académie au nouveau chef de l'Etat français « l'hommage de sa reconnaissance pour la généreuse abnégation dont il a fait preuve en assumant la tâche de réparer les erreurs, les fautes et les crimes qui ont causé le malheur présent de la France, elle l'assure de son dévouement pour contribuer, sous son autorité éclairée et sage, à la renaissance du pays; en exaltant et en pratiquant l'ardeur au travail, le respect de la famille et l'amour de la patrie. » Cette déclaration est approuvée à l'unanimité des 21 présents. C'est la première fois que l'Académie prend une position politique engagée, et que son président se met en dehors des statuts de 1934 qui lui interdisent « toute discussion touchant la religion, la politique et les personnes ». L'Académie se souvient-elle que, sous le Premier Empire, quand elle s'appelait « Société des Amis des Sciences, des Lettres, de l'Agriculture et des Arts », elle avait salué Napoléon comme « héros de la France pour l'accomplissement de glorieuses destinées » ? En 1940, Pierre Médan est, sans doute, sensible au discours du Président de la République française Paul Raynaud qui présente Pétain comme « le vainqueur de Verdun, celui grâce à qui le moral de l'armée française en 1917 s'est ressaisi pour la victoire... les anciens combattants de Verdun (n’oubliant pas) la fin de l'Ordre du jour du 10 avril 1916 ». Pour lui, comme pour toute la société française, la situation tragique de 1940 est un véritable traumatisme. Cette situation sera analysée dans la deuxième partie de la communication, le 7 décembre 2021.
MC-E
Le mardi 7 décembre 2021,
l'Académie a entendu M. Jean-Luc Kieffer
donner la deuxième partie de sa communication
L'Académie pendant la seconde guerre mondiale (1939-1942).
Le conférencier reprend son exposé avec le portrait du président Pierre Médan, et les activités de l'Académie de l'armistice à novembre 1942.
Né le 17 avril 1881 à Galié en Haute-Garonne, Pierre Médan, brillant universitaire, agrégé des lettres, Docteur ès lettres, est nommé professeur au lycée Mignet en 1909, et donne à la faculté des conférences en histoire de la musique, car il est aussi musicien et compositeur. Reçu titulaire à l'Académie en 1931, il en est élu président en 1940 et 1941.
Ancien combattant de 14-18, ayant servi sous les ordres du maréchal Pétain, il se met en 1940 à la disposition de celui-ci, qui lui répond : « C'est là où vous êtes que vous pourrez le mieux servir votre pays ». En janvier 1941, aux obsèques d'Edouard Aude, Conservateur de la bibliothèque Méjanes et majoral du Félibrige, Médan prend la parole : « Dans ces jours de tristesse que nous vivons depuis le 17 juin dernier, les deuils particuliers paraissent honteux d'attirer l'attention sur eux quand la France porte le grand deuil de ses armées... ». Dans une communication de 1942, Médan dit son admiration du sauveur de Verdun, auquel il a prêté serment d'allégeance en intégrant la Légion française des combattants. Il associe l'Académie à son engagement personnel dans la politique de Révolution nationale et dans la politique de Travail préconisée par le Chef de l'Etat français.
Sous le mandat de Pierre Médan, l'Académie obtient de la Municipalité « Front populaire » qui a entamé une politique de révision des noms de rues, le changement de la Place du quatre septembre en Place des quatre Dauphins. Charles Maurras est élu membre d'Honneur de l'Académie. Joseph Rigaud, dans sa communication sur l'irrigation en Provence, salue « les projets en cours d'étude pour une utilisation massive des sources d'eau : « Ce sera la gloire du gouvernement du maréchal Pétain de réaliser enfin le vœu de nos populations laborieuses et fortement attachées à la mère-patrie. » Pierre Médan engage l'Académie dans la célébration des jours de fêtes voulus par le régime, comme la fête du premier mai de Jeanne d'Arc. L'Académie a été très sensible à un aspect de la Révolution nationale, celui de la restauration des provinces. Cela lui paraît être dans la continuité des idées de Mistral et du Félibrige. Le régionalisme annoncé dès juillet 1940 comme volonté de décentralisation, sur l'inspiration de Charles Maurras et Charles Brun, majoral du Félibrige, séduit l'Académie et en particulier Marcel Provence, reçu membre titulaire en mai 1942.
Le 11 février 1941, l'Académie consacre sa séance aux nouvelles régions voulues par le gouvernement. Marcel Provence exprime ses idées sur la Provence et ses limites. Il conteste le rattachement des Hautes-Alpes à Grenoble, et engage un débat avec Joseph Magnan-Corréard qui préconise de faire coïncider le plus possible les limites des nouvelles régions avec les anciennes provinces. Marcel Provence souhaite qu’Aix soit la capitale de la Provence, mais la préfecture régionale est fixée à Marseille en avril 1941. L'esprit de décentralisation insufflé par Pétain a cédé la place à la réalité administrative incarnée par Laval dès le printemps 1942. En novembre 1941, Jean Pianello a succédé à Pierre Médan dont l'influence reste forte.
La question du legs de l'hôtel de Boadès par Blanche d'Estienne de Saint-Jean est en cours de règlement. L’Académie refuse d'en payer les droits de succession car elle n'est pas légataire, elle n'est qu'agent de transmission des prescrits du legs fait à la ville d'Aix. En novembre 1941, le comte de Mougins-Roquefort, secrétaire perpétuel, annonce qu'il a obtenu pour l'Académie du Président de la Délégation départementale une subvention de 5000 francs. C'est une grande première !
Sur les trente séances de la présidence Pianello, entre le 2 décembre 1941 et le 24 novembre 1942, six sont consacrées à la politique gouvernementale. Les références et les marques de soutien à Pétain diminuent. Pourtant les communications « politiques » ne sont pas étrangères à la tradition académique. Depuis son origine, l'Académie s'intéresse à l'agriculture et beaucoup de ses membres sont des propriétaires fonciers. Il est donc compréhensible que la politique de Vichy en faveur du monde paysan y ait trouvé un écho. Bruno Durand, conservateur à la Méjanes, est élu titulaire en janvier 1942, au fauteuil d'Edouard Aude. Sa réception, le 27 mai 1944, sera évoquée ultérieurement.
Le 8 novembre 1942, les troupes alliées débarquent en Afrique du Nord, le 11 les troupes allemandes entrent en « zone libre », le 12 elles sont à Aix, et le 17 l'Académie fait sa rentrée. C'est la fin de la période étudiée.
MC-E
La BCE face à la crise sanitaire Covid-19 : Potion magique ou toxique ?
La Banque centrale européenne (BCE) ouvre ses portes en juin 1978 à la tête de l’Eurosystème qui regroupe aujourd’hui 19 banques centrales nationales. Indépendante du pouvoir politique, elle est gouvernée par un Directoire et un Conseil des gouverneurs. La BCE approvisionne les banques commerciales en « monnaie banque centrale » dont elle peut contrôler le prix (le taux refi) ou la quantité : question de stratégie.
L’activisme monétaire fut largement pratiqué dans l’après-Guerre. En soutien des politiques budgétaires pour maintenir le plein-emploi, cette stratégie procédait de la manipulation des taux d’intérêt mais le prix à payer fut l’inflation. Les arbitrages systématiques entre taux de chômage et taux d’inflation furent mêlés d’électoralisme et débouchèrent sur la stagflation dans la seconde moitié des années 1970, ce qui disqualifia l’activisme monétaire.
Sous l’influence du monétarisme, la stabilité des prix devint alors un objectif majeur des banques centrales. P. Volcker, président de la Fed, maîtrisa l’inflation par application d’une règle de contrôle strict de la quantité de monnaie banque centrale mais dut se tourner vers un monétarisme pragmatique. Son successeur, A. Greenspan, adoptera une politique hétérodoxe, mi-activiste mi-vigilante, qui sera décrite comme une stratégie de « règle active » (règle de Taylor) visant simultanément deux cibles : la stabilité des prix et la stabilité de l’emploi. Toutes les banques centrales en vinrent à adopter une telle stratégie de ciblage. Pour la BCE, dès octobre 1978 la cible prioritaire de stabilité des prix que lui avait assignée le Traité de Maastricht fut définie par un taux d’inflation annuel moyen de 2%.
Le principe largement adopté fut de rendre prévisible la politique monétaire et de ne pas provoquer d’effet de surprise. L’efficacité de l’intervention du banquier central repose ainsi sur sa capacité à orienter de manière crédible, indépendante et transparente les anticipations des marchés, à l’instar du joueur de flûte. Or la crise financière de 2007-2008 déclencha un grand relâchement monétaire.
De 2008 à 2015, la BCE recourut à des instruments « non conventionnels » que pratiquèrent J.-Cl. Trichet puis M. Draghi : allongements successifs de la durée maximale des prêts de liquidité, programme de rachats SMP, prêts LTRO et TLTRO, taux refi atteignant 0,05%, provoquèrent une augmentation extraordinaire de la taille du bilan de la BCE. En mars 2015 fut lancé le programme de rachats mensuels massifs d’actifs (PAA) prolongé et étendu jusqu’en décembre 2018. Mme Ch. Lagarde réactivera ce programme PAA en novembre 2019 sans date limite quand survint la pandémie de Covid-19. Dans un contexte de taux refi nul, une politique ultra-accommodante s’ensuivit avec le lancement le 18 mars 2020 du programme PEPP par deux fois augmenté et étendu jusqu’en mars 2022, date après laquelle le programme PAA toujours en cours devrait alors doubler.
Les taux d’intérêt si faibles associés aux rachats massifs de titres favorisent la monétisation de la dette publique et sabrent l’indépendance de la banque centrale. Cela pose le problème épineux du remboursement de la dette. La solution repose essentiellement sur la croissance économique d’autant que la création exubérante de monnaie banque centrale n’est pas gratuite. Trois coûts potentiels forment l’épée de Damoclès. Le premier est le risque de bulle financière et de déstabilisation économique et sociale. Le deuxième est celui de l’inflation dont les signes sont déjà nettement perceptibles. Le troisième est la distraction des ressources naturelles vers des branches improductives. Qu’en sera-t-il des prochaines crises qui mettront la pression sur les pouvoirs publics ? On ne peut compter indéfiniment sur la banque centrale.
Jean-Pierre CENTI
Le mardi 1er mars 2022,
l'Académie a entendu M. Albert Giraud
donner sa communication
Un piédestal pour un petit grand homme : la statuaire d'Adolphe Thiers.
Adolphe Thiers démarra dans la vie avec plusieurs handicaps. Cela ne l'empêcha pas de connaître la fortune, le pouvoir et la gloire.
Le 16 juin 1877, à l'assemblée nationale, Gambetta salue Thiers en ces termes : « Il a arraché Belfort et la trouée des Vosges à M. de Bismarck, vaincu la commune, refait l'armée, reconstitué les finances, rendu au pays sa foi en lui-même, restauré son crédit au dehors, hâté la libération du territoire, jeté les premières bases de la Constitution républicaine. »
En septembre suivant, sa mort donne lieu à des obsèques nationales grandioses, et un magnifique tombeau au père Lachaise est construit pour recueillir ses restes. Seulement deux ans après sa mort, Thiers est statufié. Le fondateur de la IIIe république semble avoir acquis, de façon définitive, le statut de grand personnage de l'histoire de France. Cinq statues de l’homme illustre permettent de suivre un parcours historique, politique et juridique plutôt déroutant.
La première statue de Thiers, œuvre du sculpteur Guibert, est inaugurée le 3 août 1879 à Nancy, sur la place Thiers. Déménagée en 1970 pour le réaménagement de la place, elle est aujourd'hui enfermée dans un obscur dépôt, et la place Thiers a été renommée place Simone Veil.
Une deuxième statue de Thiers est érigée en 1880 à Saint-Germain-en-Laye. Celle-ci disparait en décembre 1941, enlevée par les services de récupération des métaux non ferreux, et les 900 kg de bronze récupérés partent pour l'Allemagne, alimenter vraisemblablement les industries d'armement du IIIe Reich.
A Bône, une copie de la statue de Guibert est érigée en 1880, sous les palmiers du cours Bertagna. Rapatriée en France après l'indépendance de l'Algérie, cette statue est mise en attente au dépôt des œuvres d'art de l'Etat à Paris. Puis, la petite commune de Saint-Savin-sur-Gartempe en fait l'acquisition, pour l'exiler finalement sur un médiocre piédestal en parpaings dans un coin de jardin public.
Marseille, quant à elle, ne pouvait être en reste d'honorer la mémoire de l'enfant de la ville. Elle lance une souscription en 1879 pour la réalisation d'une statue. Le parisien Auguste Clésinger remporte le concours. Mais le projet est contesté et suscite de vifs débats entre Eugène Poubelle, protégé de Thiers, et les socialistes, dont Clovis Hugues qui a fait trois ans de prison pour sa participation à la commune de Marseille. Après le décès du sculpteur en 1884, son exécutrice testamentaire décide de livrer à la ville la statue de près de trois tonnes. Elle sera hissée, à force de palans, au musée des Beaux-Arts du palais Longchamp, et reléguée au fond d'une arrière-cour, jusqu'au jour où elle reparaît dans la cour de l'Ecole des Arts et Métiers d'Aix, où elle se trouve toujours. Les modalités de son transport de Marseille à Aix restent un mystère pour l'historien.
Enfin, une seule statue de Thiers se trouve encore à Paris, dans le 16ème arrondissement, à l'Hôtel Saint James, ancien siège de la Fondation Thiers. C'est une reproduction légèrement réduite de la statue de Clésinger.
La déchéance de l'image de Thiers ne touche pas seulement la statuaire. En Algérie, les noms des villes de Thiers en Grande Kabylie et de Thierville près de Mascara, ont été rayés de la carte.
Cependant, la gloire de ce personnage est encore préservée à Paris, par l'Hôtel Thiers, propriété de l'Institut de France. Ce bâtiment abrite toujours sa bibliothèque, et la Fondation Thiers qui décerne chaque année des bourses à des étudiants de valeur.
La vénération pour Thiers a pu ainsi se transformer, au fil de l'histoire, en détestation.
En 1968, le fameux lycée Thiers de Marseille devint quelques mois « Lycée de la commune », et à Aix, certains demandèrent que la rue Thiers devînt « rue Louise Michel ».
Ces aléas n'ont rien d'exceptionnel. La « cancel culture » ne menace-t-elle pas actuellement les statues de Colbert et de Napoléon ? Toute statue serait-elle donc vouée au même sort que la statue aux pieds de fer et d'argile du Livre de Daniel, brisée par une pierre ? « Le vent l'emporta, et nulle trace n'en fut retrouvée ».
M-C.E